L’édito n°9 du SAT-RATP du 04 mai 2018
Devant la multiplication des décisions de révocation illégales, il est apparu, pour le SAT-RATP, la nécessité de rappeler aux agents quelques fondamentaux qui peuvent leur être fort utile si, par mésaventure, ils devaient traverser une telle épreuve.
Tout d’abord que si le juge ne peut, en l'absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d'une liberté fondamentale, annuler un licenciement, nous verrons ci-après que certaines dispositions statuaires et de réglementation interne peuvent être invoquées par le salarié en justice pour solliciter sa réintégration.
Voyons, en premier lieu, les nullités prévues par la loi
Est nul le licenciement :
- d'un salarié victime de discrimination (L.1132-1 à L.1332-4) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son état de santé ou de son handicap, de son exercice normal du droit grève (L.1132-2 et L.2511-1), de son témoignage sur une discrimination (L.1132-3). Très important, si le code du travail dresse ici une liste limitative des cas de discrimination, il vous est cependant possible d’invoquer toute autre situation de discrimination. En effet, par combinaison du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 (article 26), de la Chartre sociale européenne revisée de 1996 (article. E), de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989 (préambule), de la Directive 2000/78/CEE du Conseil du 27 novembre 2000 (article 2), de la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne de 2000 (articles 20 et 21), du Traité de l’union européenne du 7 février 1992 (articles 2 et 3), le « principe de l'égalité de traitement » s’entend de l'absence de toute discrimination directe ou indirecte, quel qu’en soit l’origine et/ou la situation. Ces textes étant ratifiés par la France, ils sont par conséquent d’application directe en droit français.
- d'un salarié exerçant la fonction de juré ou de citoyen assesseur (L.1132-3-1),
- d'un salarié qui agit en justice pour mettre fin à une discrimination (L.1134-4),
- d'un salarié qui agit en justice pour faire respecter l'égalité entre les hommes et les femmes (L.1144-3),
- d'un salarié ayant subi ou témoignant sur un harcèlement moral (L.1152-2 ; L.1152-3),
- d'un salarié ayant subi ou témoignant sur un harcèlement sexuel (L.1153-2 à L.1153-4),
- d'un salarié témoignant des faits de corruption (L.1161-1),
- d'une salariée en état de grossesse (L.1225-4, L.1225-5 ; L.1225-71),
- d'un salarié en accident du travail ou en maladie professionnelle (L.1226-13),
- d'un salarié utilisant son droit d'expression (L.2281-3),
- d'un salarié protégé (L.2411-1 et suivants) sans respect de la procédure administrative ou après son annulation (L.2422-1),
Est nul également le licenciement en présence d'une violation, par l'employeur, d'un droit fondamental ou liberté fondamentale du salarié:
- liberté d'expression (Cass. soc. 28 avril 1988, n° 87–41804),
- droit de grève (Cass. soc. 8 juil. 2009, n° 08–40139),
- droit à la santé et la sécurité au travail, notamment concernant le droit de retrait (L.4131-1) (Cass. soc. 15 fév. 2012, n° 10-20194),
- droit à la dignité du salarié au travail,
- droit à l’information des mesures de protection,
- droit de la défense (notamment au visa de la Convention n°158 de l’OIT (art.7) qui est d'application directe en droit interne (Cass. Soc. 10 mai 2012, n° 10-28512 ; CA de Paris, 7 mai 2014, n° de RG : S 12/02642. Mme Koeff c/ SA Poirey),
- droit de refuser d’être discriminé,
- droit de refuser d’être harcelé.
A toutes fins, s'agissant de l’adage « pas de nullité sans texte » que ne manque pas d’invoquer la RATP, lorsque la nullité ne relève pas de l’une des situations évoquées ci-avant. Tout d’abord, il convient de relever que cet adage a connu depuis fort longtemps certains assouplissements. On sait qu’il est surtout valable en procédure civile et que la violation d'une loi impérative ou prohibitive est normalement sanctionnée par la nullité (Laurent et Boyer, Adages du droit français, Litec, 4e éd., n° 317, p. 631). Mais ceci est aussi valable en droit pénal où les nullités substantielles voisinent avec les nullités textuelles (C. pr. pén., art. 171 ; C. pr. pén., art. 802), qu'en droit du travail. La Cour de cassation ne manque pas en effet de déclarer nul le licenciement d’un salarié prononcé en violation de l’article L.4131-3 du Code du travail (relatif au droit de retrait), bien que ce texte ne précise nullement « toute disposition contraire est nulle », contrairement au harcèlement ou à la discrimination et d’ailleurs, la nullité du licenciement n’est pas non plus expressément prévue pour les salariés protégés.
Voyons maintenant la nullité du licenciement qui peut être invoquée au visa du Statut du personnel et de la Réglementation interne
Si la RATP prétend en justice qu’aucun texte interne ne prévoit la nullité, force est de constater qu’elle est cependant contredite par les dispositions mêmes qu’elle entend écarter. En effet, le Statut du Personnel est indéniablement plus explicite en la matière que par exemple les dispositions de l’article L.4131-3 du code du travail. Selon l’article 49 du statut du personnel : « La révocation résulte d’une décision prononcée par le Directeur général dans les conditions prévues au Titre XII relatif à la discipline. Elle est définitive, sauf dans le cas où un élément nouveau justifierait un nouvel examen. Elle ne comporte aucun délai de préavis. » Ainsi en élaborant le statut la commission mixte paritaire (présidée par un fonctionnaire du ministère des transports et composés de représentants de la RATP et des organisations syndicales) a donc entendu expressément interdire à la RATP de prononcer une mesure de révocation pour un autre motif qu’une faute grave ou lourde et mais surtout, lui permettre, en cas d’élément nouveau en faveur du salarié, de prononcer sa réintégration. Etant rappelé, et cela est d’importance, qu’au visa combiné de l’article 8 du décret n° 59-1091 du 23 septembre 1959 (selon lequel le président dirige le personnel dans le cadre du statut de celui-ci) et de l’article 43 du statut du personnel (selon lequel la cessation des fonctions par révocation ne peut intervenir que dans les conditions explicitées par l’article 49 dudit statut) aucune décision de révocation ne peut être valablement prise si elle n’est pas prononcée par le président (ou son représentant) en raison d’une faute grave (la révocation étant privative de préavis). Ainsi à défaut du respect, par la Régie, de ces règles, la révocation est nulle et de nul effet, et l’agent est dès lors fondé à solliciter sa réintégration sur le fondement des textes susvisés.
Il n’est pas inintéressant de rappeler à ce stade qu’en vertu du principe de faveur (principe fondamental en droit du travail au sens de l’article 34 de la Constitution Française) tiré de l’article L. 2251-1 du Code du travail selon lequel « une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur », la situation des salariés doit être régie, en cas de conflit de normes, par celle qui leur est la plus favorable (Cass. soc. 17 juillet 1996, n° 95-41313 ; Cass. Soc. 17 juillet 1996, n° 95-41745 ; Cass. Civ.2e, 11 février 2016, n° 15-10284).
Ceci étant posé, voyons maintenant les dispositions de la réglementation interne permettant à l’agent victime d’une révocation irrégulière ou illicite de solliciter sa réintégration.
En premier lieu, l’agent doit avoir été mis en capacité de présenter tout élément nouveau en vue de sa défense c’est-à-dire, en capacité de faire appel de la mesure de révocation ce qui implique donc que les délais et voie de recours aient été notifiés à l’agent. Par la note n° 31711 du 18 mai 1989 relative aux procédures d’appel des sanctions disciplinaires, qui n’a fait l’objet d’aucune abrogation, (édictée dans le cadre de l’application du Statut du personnel (art.2) et donc, à valeur réglementaire) la RATP a rappelé aux directions du personnel que cette possibilité d’appel des sanctions disciplinaires offerte aux agents s’applique à tous les types de sanction. Et donc, y compris aux mesures du second degré dont la révocation, ce qui est du reste conforme aux dispositions de l’article 49 du Statut en ce qu’elles prévoient un réexamen en cas d’élément nouveau. Etant rappelé qu’une mesure individuelle doit toujours se conformer à une mesure réglementaire régulièrement prise et que lorsqu’une autorité a décidé de se soumettre volontairement à une règle de procédure qui n'était pas obligatoire, elle se trouve dans l'obligation de se conformer intégralement à la procédure qu'elle a décidé elle-même de s'imposer aussi longtemps qu’elle ne l’aura pas abrogé (CE. 12 février 2009, n° 285464 ; CE. 15 mai 2000, n° 193725). Il est constant que dans la pratique cette obligation n’est jamais respectée par la RATP. Ce faisant, outre les dispositions de l’article 49 du statut et de la note 31711, la RATP viole les droits de la défense prévus par l’article 7 de la Convention 158 de l’OIT sur le licenciement qui est d’application directe en droit français : « Un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées » ( Cass. soc. 10 mai 2012, n° 10-28512). Partant, toute décision de révocation prononcée sans que l’agent n’ait été mis en capacité d’exercer son droit d’appel est nulle et de nul effet.
En second lieu, « aucune mesure disciplinaire ne peut être prononcée à raison d’un manquement à la discipline survenu plus de deux mois avant l’engagement de la procédure disciplinaire, sauf, notamment, si ce fait était inconnu de la Régie » (article 149 du Statut ; dispositions reprises également dans le règlement intérieur des établissements de la Régie)
Qu’il s’évince des dispositions combinées des articles 43, 49 et 149 du Statut du personnel et 8 du décret du 23 septembre 1959, qu’aucun fait fautif survenu plus de deux mois avant l’engagement de la procédure disciplinaire ne peut venir au soutien d’une mesure de révocation. Toutes les clauses du statut du personnel s’interprétant « les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier » (art. 1189 nouveau code civil), et l’intention commune (article 1188 du nouveau code civil) de la Commission mixte paritaire a donc bien été d’interdire à la RATP de licencier les agents commissionnés sur le fondement de faits prescrits. Ainsi la prescription des faits fautifs, qui constitue un élément nouveau au sens de l’article 49 du statut, justifie le réexamen prévu par ledit article et par suite, la réintégration en vertu de ce texte qui la prévoit clairement, si bien sûr les mots veulent dire quelque chose.
Lorsque la commission mixte paritaire a expressément stipulé que la révocation est définitive « sauf dans le cas où un élément nouveau justifierait un nouvel examen », elle a bien entendu par là ôter tout caractère définitif à la mesure de révocation en présence d’élément nouveau et ainsi permettre à l’agent dont la révocation est irrégulière (violation de la procédure prévue au Statut (articles 159 à 165) 2°) ou à l’instruction générale 408 relative à la discipline ou encore au règlement intérieur de l’établissement voire, les 3 à la fois) et/ou illicite (absence de faute grave ou lourde, ou en cas de fait prescrit) d’être réintégré.
Par suite, suivant le principe fondamental de faveur précédemment évoqué, le Statut du personnel (articles 43, 49 et 149) et le décret du 23 septembre 1959 (article 8) font obstacles à ce que la RATP puisse, sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail, s’opposer à la réintégration sollicitée par l’agent irrégulièrement ou illicitement révoqué.
Par ces textes, l’entreprise publique RATP s’est obligée en présence d’élément nouveau à reconsidérer la mesure de révocation (dont l’article 49 n’exige pas que celui-ci soit exclusivement rattaché à la violation d’une liberté fondamentale) et par suite, à réintégrer l’agent irrégulièrement ou illicitement révoqué. Ce que la Régie a du reste déjà fait à plusieurs reprises. Pour ne citer qu’eux, les agents Raymond CHAUVEAU (agent des ateliers) et Mourad GHAZLI (agent de sécurité) ont été tous deux réintégrés sans même un procès, en 1995 pour le premier et en 2014 pour le second. A toutes fins, nous préciserons que contrairement à ce que propage une certaine rumeur aucun jugement n’a jamais ordonné la réintégration de Mourad GHAZLI. Preuve en est, s’il en était encore besoin, que la réintégration prévue à l’article 49 du statut du personnel trouve à s’appliquer en présence d’élément nouveau. Que dès lors, l’équité et l’usage visés à l’article 1194 du nouveau code civil (selon lequel « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ») mais surtout le statut personnel (acte administratif instauré par la loi du 21 mars 1948 (art.31) et par décrets successifs (n° 59-157 du 7 janvier 1959 (art. 4) ; n° 59-1091 du 23 septembre 1959 (art. 6) ; n° 60-1362 du 19 décembre 1960, ce qui confère aux obligations statutaire un caractère réglementaire impératif) commandent à ce que tout agent dont la révocation est irrégulière et/ou illicite soit pareillement réintégré.
Il n’est pas inutile d’invoquer encore, en cas de violation des dispositions statutaires, que suivant la hiérarchie des normes il ne s’agit pas de la violation de simples dispositions conventionnelles qui ne rentrent que dans le domaine de la loi des parties définie par l’article 1103 du nouveau code civil, mais de la violation de dispositions à valeur réglementaire issue du bloc législatif et réglementaire susvisé et donc, de norme supérieure au bloc des actes conventionnels, ce dont il s’évince que toute mesure de révocation prononcée en violation de ce Statut est nulle.
En troisième lieu, nous constatons que trop souvent les garanties procédurales instituées par le Statut du personnel (titre XII articles 158 à 165) et son IG 408 relative à la discipline, en faveur de l’agent appelé à comparaitre devant le conseil de discipline, ne sont pas respectées.
Partant sur le même fondement juridique que précédemment (articles 43 et 49 du statut et 8 du décret du 23 septembre 1959), en cas de violation, par l’employeur, des garanties procédurales instituées par la réglementation interne, les agents peuvent solliciter l’annulation de la sanction de révocation et par suite leur réintégration.
Etant rappelé que la procédure légale de licenciement n'exclut pas la mise en œuvre de procédures conventionnelles qui donnent au salarié des garanties supplémentaires. (Cass. Soc. 11 juillet 2000, n° 97-45781 ; Cass. Soc. 16 janvier 2001, n° 98-43189 ; Cass. Soc. 27 juin 2012, n° 11-14036). Ainsi lorsque la procédure conventionnelle, ou ici statutaire, prévoit que le salarié, traduit devant un organisme chargé de se prononcer sur la sanction à appliquer, doit recevoir la communication de toutes les pièces relatives aux griefs articulés contre lui, cette disposition constitue une garantie de fond pour l’intéressé. (Cass. Soc. 11 juillet 2006, n° 04-40379)
Nous constatons que dans la plupart des dossiers les agents sont d’abord confronté à une résistance abusive de la part du conseiller-rapporteur au conseil de discipline s’agissant de la communication des éléments nécessaires à la préparation de la défense du salarié, tant le dossier administratif (dossier personnel) de l’intéressé que le dossier disciplinaire lui-même. Or, il a été jugé à ce sujet que « Le dossier personnel et les documents fondant le licenciement du salarié constituent les pièces sur lesquelles les juges du fond seront appelés à se prononcer, a pu décider que l'obligation pour l'employeur de communiquer les pièces sollicitées n'était pas sérieusement contestable, que le moyen n'est pas fondé. » (Cass. Soc. 28 juin 1995, n° 93-43893). Par ailleurs, les dispositions des alinéas 6 et 7, de l’article 160 du statut font obligation à l’enquêteur-rapporteur non-seulement d’informer l’agent, ou son représentant, des faits reprochés mais de lui donner « intégralement communication des pièces relatives à ces faits ». Il se dégage donc formellement des termes invoquant la communication intégrale des pièces du dossier, le choix pour l’agent d’opter pour la photocopie. Par ailleurs, nous ne voyons pas très bien au regard de quelle norme ou disposition, la RATP s’autoriserait à communiquer la copie de leurs dossiers administratif et disciplinaire qu’à certains agents seulement comme nous avons pu le constater. En agissant ainsi, outre le fait de caractériser la violation des droits de la défense, la Régie établie elle-même une discrimination prohibée au sens textes internationaux et communautaires précédemment évoqués. Au besoin, le SAT s’engage à communiquer à tout agent qui lui en ferait la demande, les preuves que d’autres agents ont pu obtenir la photocopie de leurs dossiers personnel et disciplinaire (qui doit comporter le rapport de votre chef de service vous déférant au conseil de discipline) ainsi que tout autre élément cité dans cet édito.
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